Le prânâyâma est le moyen respiratoire qu’utilisent les yogis pour se transformer et essayer de vibrer sur la même longueur d’onde que le Divin. C’est, en fait, l’outil primordial qui, en utilisant la respiration, et plus spécifiquement « prana », l’énergie, permet de joindre le Principe de toute chose.
Comment pratiquer « prânâyâma » ? Suffit-il d’en avoir une connaissance théorique pour pouvoir joindre « Cela » ? Tous ceux qui en parlent sont-ils qualifiés, et surtout pour l’enseigner ? L’observation de certains faits, autour de nous, parmi ceux qui pratiquent le yoga, nous ferait plutôt penser que cette technique est très souvent mal interprétée, de façon superficielle, et que les conséquences de sa pratique sont parfois néfastes pour la santé. C’est, en vérité, comme pour beaucoup de choses. Prânâyâma peut être merveilleux lorsqu’il est bien exécuté ; à l’inverse, il peut devenir dangereux si certaines conditions ne sont pas respectées.
Il nous semble utile, sinon indispensable, de débattre de cette question, ici, en Occident, pour les nombreux pratiquants enthousiasmés, à juste titre, par cette merveilleuse discipline qu’est le yoga. Notons tout d’abord que Prânâyâma prend place dans les huit étapes du yoga, selon Patanjali, en quatrième position, après: Yama(l’éthique), Nyama (le raffinement du caractère) et Asana (la purification du corps) .
Ainsi, lit-on dans Hatha-Yoga Pradipika ([1]), l’un des ouvrages de référence des Hatha-Yogis, au Chapitre 2‑V.1: « Et maintenant, lorsque la posture est fermement établie, le yogin, maître de lui-même, prenant une alimentation salutaire et modérée, doit se consacrer au ‘prânâyâma’ – selon la voie enseignée par son « guru ». La lecture attentive de ce texte nous précise la marche à suivre:
1) Lorsque la posture est fermement établie. C’est stira-sukha, l’aisance dans la fermeté. Chacun sait que ce ne peut être réalisé qu’après un long entraînement physique persévérant.
2) Maître de lui-même. Au-delà de cette maîtrise du corps, cette maîtrise de lui-même sous-entend la maîtrise du souffle et pour cela également celle des pensées. De nombreuses années sont généralement nécessaires pour obtenir ces résultats.
3) Prenant une alimentation salutaire et modérée. C’est, comme l’indique la Baghavad Gîtâ ([2]) Ch. V1 16: « En vérité, le yoga n’est ni pour celui qui mange trop ni pour celui qui ne mange rien; il n’est ni pour qui dort longtemps, ni pour qui veille toujours, Ô Arjuna. » Avoir une alimentation équilibrée et ne pas utiliser le jeûne comme moyen d’évolution. Là aussi, pour être convaincu du bien-fondé de cette règle de sagesse, il faut parfois des années et passer par des expériences contradictoires.
4) Selon la voie enseignée par son « Guru « . Cela sous-entend la direction et la surveillance d’un guide ou professeur qualifié.
Pourquoi toutes ces précautions si Prânâyâma n’est qu’une manière de respirer ? C’est, en fait, bien autre chose qu’une respiration. Prânâyâma vise à contrôler le souffle, lequel est le support de prana. Et prana, l’énergie, est le fil qui relie en l’homme tous les éléments qui le constituent; et au-delà de cette limitation corporelle apparente, le fil qui l’unit également à tous les êtres… et à tout l’Univers.
La respiration, comme on la considère couramment, c’est l’air inspiré et expiré en tant que mélange d’éléments concrets, dont l’oxygène. C’est, du point de vue physiologique, au niveau des alvéoles pulmonaires, l’oxygénation du sang, phénomène chimique qui entretient la vie en régénérant le sang vicié.
Le prânâyâma, dans lequel intervient « prana », agit plus profondément, sur un plan plus subtil. Prana est l’élément énergétique qui agit de façon vibratoire. Il opère une transformation, non plus chimique sur le corps de chair, mais vibratoire, pour moduler le taux de vibration de tout l’être, du plus dense jusqu’au plus subtil. La vibration la plus lente intéressant le plan le plus dense, le plus matériel ; la vibration la plus rapide agissant sur les plans les plus subtils pour se rapprocher de la vibration initiale.
L’efficacité de la respiration « normale » va dépendre de l’équilibre de notre système nerveux, la volonté pouvant intervenir sur la régularité du souffle, de façon à respirer lentement, longuement, doucement, et surtout en marquant un temps d’arrêt suffisamment prolongé en apnée respiratoire. C’est, en effet, durant ce temps de suspension du souffle, poumons pleins, que se produit l’oxygénation du sang. Pour être efficiente, cette respiration doit donc être relativement lente, et comporter un arrêt, en suspension du souffle, suffisant.
Le prânâyâma a un tout autre effet. Il fait circuler prana dans tout l’être, corps et mental, par l’intermédiaire du « corps de l’énergie », le « Prânâmaya-Kosha », dont la structure anatomique est bien connue des yogis. Pour pratiquer le prânâyâma, la conscience de prana est évidemment indispensable. Pour l’utiliser dans ses innombrables possibilités, il faut même avoir conscience du « Manomaya-Kosha » (corps mental) ainsi que de la double polarité de l’énergie. On tiendra compte alors des trois modalités d’expression de cette énergie en utilisant les « gunas » comme les yogis les dénomment.
Dès maintenant, on conçoit la complexité de cette pratique, la nécessité d’un entraînement long et progressif, sous la direction d’un guide qualifié pour éviter toute fausse manœuvre. Or, que se passe-t-il le plus souvent ?
1) On ne différencie pas assez respiration et prânâyâma.
2) On ne prend pas le temps de « détecter » prana, d’en prendre conscience ; c’est-à-dire d’apprendre la « respiration pranique ». On en reste à une respiration « ordinaire ».
3) La détente du corps, le calme du mental, ne sont pas suffisants. Les sens, particulièrement l’odorat et le toucher, n’ont pas été suffisamment utilisés consciemment pour pouvoir « saisir » prana. La respiration elle-même se situe sur un plan trop grossier, trop dense, qui ne donne pas encore accès au plan subtil de l’énergie.
4) L’attention n’est pas suffisante. Trop de mobilité du mental empêche la concentration de la pensée sur le souffle et sur prana. La volonté est trop autoritaire. On n’a pas encore appris à la doser.
Ainsi, l’essentiel parait être d’établir une progression dans l’entraînement. Tous les textes traditionnels le conseillent. Mais l’Occidental est généralement très pressé et aussi, avouons-le… vaniteux. Il est aussi « grosse tête » avec un mental analytique bien développé et un ego également de bonne dimension. Beaucoup trop de pratiquants pensent pouvoir brûler les étapes impunément.
Notre propos est surtout, aujourd’hui, d’attirer l’attention des professeurs, ou futurs professeurs, quant à ce qu’ils doivent transmettre à ce sujet à leurs élèves, pour la plupart néophytes.
Il y a tout d’abord, à notre avis, une mise au point à faire au sujet du vocabulaire à employer.
-Il y a la respiration « normale », celle qu’on commence à contrôler en la rendant plus longue, plus régulière, plus douce, et dans laquelle on introduit peu à peu des temps de rétention naturels.
-Puis, il devient possible de mieux conscientiser le souffle et de le moduler sur un rythme.
Mais peut-on se servir du terme « prânâyâma » pour ce dernier type de respirations dans lesquelles on ne perçoit pas encore prana ?
Certes, rien n’est absolu, et le fait de faire durer l’inspir plus que l’expir ou vice-versa, introduit ou rejette plus de prana.
-Cependant, la différence entre l’étudiant qui respire non plus de façon « ordinaire », mais de façon « pranique » en ayant pris conscience de prana, est fondamentale : il est devenu apte à ressentir les modifications d’ambiance. Ainsi, dans les deux cas précités, que l’inspir soit plus long que l’expir ou vice versa, il perçoit ces modifications subtiles, mais puissantes, qui le transforment en profondeur. Et cela rapidement, sans difficulté. C’est spectaculaire !
C’est pourquoi, dans notre enseignement, nous préférons donner à la première façon le terme de respiration normale, à la deuxième celui de respiration rythmée, et réserver celui de prânâyâma pour la dernière.
Dans la pratique du yoga en Occident la remarque est importante. Même si on ajoute des noms sanscrits aux différentes phases du rythme respiratoire, en respirant de façon ordinaire, ce ne peut être du prânâyâma puisqu’il n’y a pas conscience continue de prana.
Dans ce cas, sous condition de ne pas imposer à quiconque un rythme absolu, mais de tenir compte d’une part de la respiration « naturelle » du sujet, d’autre part de sa préparation à cette discipline respiratoire (détente, maîtrise physique, contrôle du souffle), cette respiration rythmée est déjà un moyen formidable de modification.
Mais le prânâyâma est encore toute autre chose et demande impérativement un long entraînement progressif, sous la surveillance d’un professeur très qualifié ayant lui-même vécu ces stades successifs. Il ne pourra, en fait, que guider un élève à la fois. Pourquoi cela ?
1) Le rythme de base du prânâyâma, 1-4-2-4, comporte des temps d’apnée, en plein et en vide, qui sont considérables. Le mot n’est pas exagéré, car ces apnées sont quadruples du temps d’inspir pris comme base, les temps d’expir étant doubles.
2) Le mental, dans le prânâyâma, joue un rôle très important, sans comparaison avec son intervention partielle dans la respiration rythmée. Pourquoi ? En raison des exigences suivantes :
a) Celle du maintien de la conscience de prana (mobilisation permanente des sens subtils).
b) Et celle du rythme: 1 – 4 – 2 – 4 est un rythme de base à multiplier par des indices (1, 2, 3, 4, etc.). Songez qu’en inspirant seulement durant trois secondes, cela nécessite une rétention, poumons pleins, ou poumons vides, de douze secondes.
c) Enfin, non seulement le contrôle du souffle doit être permanent, mais il faut encore la maîtrise de la pensée, et un développement suffisant de la conscience pour pouvoir utiliser les quatre temps du prânâyâma selon leur fonction respective. C’est-à-dire :
1 « PURAKA ». C’est prendre l’énergie à une source précise, donc en un lieu déterminé. Cette énergie doit être prise dans sa puissance et sa qualité. Autrement dit, en employant les sens subtils à leur maximum, avec une pensée plus ou moins concentrée et une volonté dosée selon le cas. C’est la « conscience » qui doit diriger la « pensée dans sa forme », laquelle véhicule l’énergie de cette « source » où elle la capte, pour la conduire à un autre lieu, précisé à l’avance.
2 « KUMBAKA INTÉRIEUR ». C’est dans ce lieu que sera maintenu prana, suivant le temps déterminé par le rythme adopté, plus exactement par l’indice appliqué au rythme de base 1 – 4 – 2 – 4. Là s’opère une compression de prana et la possibilité d’agir également sur son taux de vibration pour modifier sa qualité comme sa puissance. Ce peut être en utilisant mentalement les trois guanas, par des visualisations colorées, mais aussi par un dosage de la volonté qui peut être modulée en application de trois degrés (faible, moyen, fort). Avant la fin du temps dévolu au kumbaka intérieur, une partie de la conscience doit relier le lieu du kumbaka à l’endroit précis où se situe ce qui doit être modifié ; but du prânâyâma.
3 « RECHAKA ». Durant l’expir, la conscience conduit prana modifié, modulé, vibrant à un taux de puissance et de qualité obtenu en fonction de l’effet recherché. Cette transposition d’énergie se fait sans heurt, avec une totale maîtrise du souffle, de la pensée, des sens subtils.
4 « KUMBAKA EXTÉRIEUR ». C’est un état de vide de souffle, lequel crée un état de réceptivité, de grande sensibilité, qui permet d’apprécier le résultat du prânâyâma: l’ambiance transformée du sujet ou de l’objet influencé.
Sans doute, cette simple description du prânâyâma suffit elle à justifier la distinction que nous préconisons dans l’emploi d’un vocabulaire spécifiant la différence entre la respiration ‘normale’; la « respiration rythmée » et le « prânâyâma »
Peut-on en conclure également que la pratique du prânâyâma n’est pas à la portée des néophytes en yoga, même pour ceux qui ont quelques années de pratique des asanas, sans avoir acquis le calme du corps et du mental, la maîtrise du souffle et de la pensée? Oui au vu des nombreux accidents que nous déplorons de constater dans certains cours de yoga.
A l’appui de ces réflexions, citons I.K. Taimni qui, commentant les « Yoga‑Sûtras » de Patanjali, écrit dans « La science du Yoga »[3]
« Les méthodes adoptées pour contrôler et manipuler le Prânâ par la régulation du souffle sont un secret bien gardé qu’on ne peut apprendre que d’un instructeur compétent. Ceux qui se livrent à ces pratiques après avoir simplement lu des livres sont assurés de ruiner leur santé et même de risquer la mort ou la folie. Aussi, ne devrait-on jamais se mêler de Prânâyâma par amusement ou pour gagner des pouvoirs hors de la normale, quels qu’ils soient, ou même pour hâter son progrès spirituel. Ces forces sont très réelles, bien qu’encore ignorées de la Science moderne, et bien des gens ont ruiné leur vie en se livrant témérairement à des pratiques conseillées par une littérature yoguique douteuse, ou selon l’avis de « Yogis » sans expérience et trop sûrs d’eux. La pratique de Prânâyâma ne peut être abordée avec sécurité et avantage que comme une partie de la complète discipline yoguique et lorsqu’on est convenablement préparé pour cela par la pratique des autres branches accessoires du Yoga telles que Yama Niyama, Asana, etc., et sous la surveillance d’un Guru compétent. » (Sadhan Pada Section II‑49).
Mais, l’auteur poursuit qu’en étant conscient de ce danger, il n’y a pas d’inconvénient à chercher à comprendre le fonctionnement du Prânâyâma et en sentant, personnellement, la limite jusqu’où on peul aller dans la pratique respiratoire. Dans ce cas, ce peut être un moyen efficace et sans danger d’obtenir une bonne santé physique et morale. Sans doute, notre propos au sujet du vocabulaire à employer devient-il maintenant, plus intelligible.
« La respiration profonde, écrit encore Taimni, n’a rien à faire avec le Prânâyâma et peut être pratiquée comme exercice de santé dans une mesure raisonnable (…) Sa pratique ne fait courir aucun risque. De même, respirer alternativement par les deux narines a des répercussions bénéfiques incontestables et ne présente aucun danger. Elle nettoie les canaux prâniques, « les Nâdis », les « purifie » ; de même, pour le système nerveux. Or, cette purification des Nâdis est un exercice préparatoire, et tous ceux qui veulent pratiquer le Prânâyâma ont à franchir une longue étape qui durera plusieurs mois ou plusieurs années. »
« Le véritable Prânâyâma commence quand on retient le souffle ».
Concluons: la pratique de Prânâyâma n’est pas pour quiconque; pas pour le grand public.
Ami lecteur, cette perspective vous effraye-t-elle? Ce n’était pas mon but en écrivant ces lignes. Mais, je veux vous rassurer. Sachez que Prânâyâma est une technique, certes prometteuse, mais difficile, elle reste possible à qui l’aborde avec patience et respect. Mais, comme toute technique, il faudra la déposer, la dépasser.
Alors, je vous fais une proposition « honnête ». Asseyez-vous tranquillement Oubliez tout. Faites le silence en vous. Puis écoutez Thérèse Brosse vous lire un passage de son dernier livre ([4])
« Si le pouvoir de penser est un don remarquable, celui de ne pas penser l’est encore bien davantage ; il importe donc de nous habituer à pratiquer le silence mental là où, apparemment, il est le plus difficile à obtenir: au cours de nos occupations journalières. Notre vie est dés lors tout entière orientée ; les moindres circonstances deviennent l’occasion d’une victoire et le yoga n’est plus une « manière de faire » mais une « manière d’être ».
Puis, c’est « Mère » qui nous a laissé ce message: « Il faut réapprendre au corps à vivre sa vie propre et cela ne se fait pas depuis les sommets du Mental mais en soulevant des baquets d’eau, en montant des escaliers ou en faisant n’importe quoi qui, d’ailleurs, n’est plus dès lors n’importe quoi. »